|
Dans
la conquête de Mars, ce sont les sondes automatiques qui occupent aujourd’hui le
devant de la scène. Mais dans les coulisses, on prépare déjà l’étape suivante :
le débarquement d’un équipage d’astronautes sur la planète rouge. Bien sûr, ce
n’est pas pour demain. D’après les estimations les plus optimistes, il faudra
attendre 2025 ou 2030. Ce n’est pas que l’aventure soit si compliquée, mais elle
est relativement coûteuse et il n’y a pas urgence. Il faut donc attendre que les
principales puissances spatiales, comme les Etats-Unis et l’Europe, achèvent
leurs programmes en cours—notamment la Station Spatiale Internationale—avant
qu’elles puissent financer un nouveau programme
d’envergure.
|
|
|
Charles Frankel (à gauche) et Robert Zubrin
(à droite) explorent un canyon "martien" sur le flanc du cratère d'impact de
Haughton (Ile de Devon, Arctique Canadien) © C. Frankel
|
|
Entre
temps, les passionnés de l’exploration martienne piaffent d’impatience. Plutôt
que d’attendre sans rien faire, ils ont fondé des associations pour étudier et
promouvoir les missions pilotées vers Mars. Je fais partie de ces « commandos »
passionnés qui ont fondé un club en France : l’Association Planète Mars. Aux
Etats-Unis, cela s’appelle la Mars Society.
L’une de nos idées a été de
répéter le débarquement sur Mars dans des endroits désertiques de la Terre qui
ressemblent le plus à la planète rouge. Des équipages de six « Martionautes »
séjournent à bord d’un habitat cylindrique de 8 m de diamètre qui représente
l’atterrisseur et effectuent des expéditions sur le terrain en
scaphandre.
|
|
|
Retour au module MDRS, après une sortie sur
"Mars". L'habitat cylindrique a les mêmes dimensions que l'habitacle
préconisé pour les véritables missions pilotées vers Mars © C. Frankel
|
|
Le but du jeu est de
déterminer quels seront les principaux problèmes que l’on rencontrera sur Mars,
de tester des stratégies d’exploration, voire de mettre au point du matériel.
Les questions sont multiples. Qui commandera réellement une mission martienne :
le centre de contrôle sur Terre ou le commandant de l’équipage sur Mars ?
Combien de fois par semaine doit-t-on sortir en scaphandre sur le site pour
mener au mieux un programme d’exploration ? Avec quel type de véhicule ? Qui
fera la cuisine et le ménage ? Combien d’eau pourra-t-on utiliser par personne
et par jour ? Aura-t-on besoin d’un psychologue à bord ?
|
|
|
Charles Frankel, dans la base de simulation
martienne
FMARS (Ile de Devon, Arctique), surveille par radio
une sortie en scaphandre de ses coéquipiers © C. Frankel
|
La géologue danoise Catherine Frandsen et
l'ingénieur Robert Zubrin, dans la station arctique FMARS, préparent une sortie
sur "Mars" © C. Frankel
|
|
J’ai participé aux
premières simulations dans l’Arctique Canadien, près du pôle Nord, en juillet
2001. Dans cette première station « Flashline », j’ai joué le rôle du géologue
de bord, aux côtés du commandant Robert Zubrin, de la chimiste Christine
Jaharajah, de la géologue Catherine Frandsen et des ingénieurs Brent Bos et
Steve Braham. Deux Américains, deux Canadiens, un Français et une Danoise
!
Notre module était juché sur le rebord
d’un spectaculaire cratère d’impact : le cratère de Haughton, large de 20 km et
vieux de 23 millions d’années. Un site qui nous «bluffe» et nous fait penser que
nous sommes réellement sur Mars, tellement le relief et les couleurs sont
étranges. L’impact poinçonne des strates sédimentaires riches en fossiles
(dolomites de l’Ordovicien et du Silurien) et le cratère est très bien préservé,
avec couches de brèches fracassées et fondues par l’énergie de la collision,
d’anciens filons hydrothermaux où la vie microbienne a sans doute prospéré, et
enfin les sédiments d’un vaste lac qui s’est installé dans le cratère à peine
formé. Des processus qui doivent aussi concerner la géologie et l’hypothétique
biologie martiennes…
|
|
| | |
Homme ou robot? Lors des simulations dans
l'Arctique, l'ingénieur de la Nasa Brent Bos se familiarise avec le maniement
d'un engin qui l'accompagnera sur le terrain © C. Frankel
| |
|
L’un
de nos objectifs principaux, lors de nos simulations, fut de trouver des formes
de vie, voire des fossiles, lors de nos sorties en scaphandre. Nous avons trouvé
des lichens dans les fractures des roches, notamment dans les brèches d’impact.
Nous avons également trouvé des fossiles d’algues et de bactéries—des
stromatolites—et même des fossiles de coraux, vieux de 400 millions d’années !
Ce qui est intéressant, c’est que nous avons testé en parallèle des robots
équipés de caméras vidéo. Eux n’ont rien trouvé : un exemple de la supériorité
actuelle de l’homme sur la machine.
|
|
|
Robert Zubrin, lors d'une sortie sur le
site arctique de Devon, découvre un stromatolite (fines couches d'algues et de
bactéries fossilisées), vieux de 400 millions d'années © C. Frankel
|
|
Côté psychologique il y a
eu des tensions, bien que l’on n’ait passé que deux semaines ensemble, et pas
deux ans ! Pour désamorcer ces tensions, une recette miracle : l’humour. Ne pas
trop se prendre au sérieux, même dans les situations les plus
tendues.
|
|
|
La chimiste Christine Jaharajah et la
géologue Catherine Frandsen lors de leur première sortie "sur Mars" (Ile de
Devon), avec le module FMARS en arrière plan © C. Frankel
|
|
Nous
avons également connu des épreuves, toutes instructives. Par exemple, nos
véhicules monoplaces (dérivés des « Quads » tout-terrain) se sont enlisés,
problème que l’on risque de connaître sur Mars où abondent les dunes de sable
fin. La leçon que l’on en a tirée est qu’il faut sortir en « escadrilles » de
deux ou trois véhicules monoplaces, munis de cordes pour se sortir mutuellement
du pétrin !
L’année suivante, en novembre 2002,
nouvelle simulation martienne dans le second module « MDRS », érigé celui-ci
dans le désert de l’Utah : un site magnifique de sédiments rouges et crème,
creusés de canyons. Cette fois-ci, j’ai joué le rôle du commandant, avec un
équipage bilingue : deux Américains et une Anglaise d’une part ; deux Français
et un Belge d’autre part.
|
|
|
Dans le module martien MDRS (Utah),
l'ingénieur Français Alain Souchier présente son Véhicule de Reconnaissance des
Parois (VRP) à sa coéquipière Stacey Cusack de la Nasa © C. Frankel
|
|
L’amour du même objectif la planète Mars et une touche d’humour ont
apporté une excellente cohésion à cette équipe. L’Américaine Stacy Cusack de la
Nasa, qui dans sa vraie vie travaille pour la Station Spatiale Internationale, a
été redoutable d’efficacité dans son nouveau rôle de Martionaute. Elle a
d’ailleurs apprécié cette nouvelle perspective, qui lui a permis de mieux
comprendre les problèmes auxquels sont confrontés ses propres astronautes,
notamment dans le rapport avec le centre de contrôle. Car nous avions nous aussi
un centre de contrôle qui veillait sur nous… et nous rappellait à
l’ordre.
|
|
|
Alain Souchier et Stacey Cusack découvrent
le cratère d'impact de Upheaval Dome dans les canyons de l'Utah: un paysage
résolument martien © C. Frankel
|
|
Comme
nous étions le premier équipage de la saison, plein de choses ne tournaient pas
rond dans la station ! Pompes, électricité, regénération de l’eau… Heureusement,
notre ingénieur français Alain Souchier arrivait à tout réparer. Son métier «
dans le civil » est ingénieur en moteurs-fusées (il s’est notamment équipé des
moteurs d’Ariane), ce qui en fait un sacré bricoleur. Notre équipier belge
Pierre-Emmanuel Paulis nous a fait beaucoup rire avec les croquis qu’il
dessinait chaque jour de nos activités, tournant en dérision nos multiples
problèmes.
|
|
|
Charles Frankel sur son Quad, dans le désert de l'Utah. Les simulations
montrent que les monoplaces sont plus pratiques et plus sures pour l'exploration
martiennes que les biplaces de type "jeep lunaire" © C. Frankel
|
|
Dans
le temps qu’il nous restait après les pannes et les réparations, on a même pu
explorer Mars ! Nous avons utilisé un robot fabriqué par Alain—le Véhicule de
Reconnaissance des Parois ou « VRP » —pour nous assister dans la photographie et
l’étude des falaises pentues, au bord des canyons. Sur Mars, en effet, pas
question de prendre des risques : c’est là où le robot a toute son utilité. Les
résultats de cette manip sont encourageants et Alain travaille déjà sur un
nouveau prototype.
Prochain objectif ? L’Islande. Nous
prévoyons d’ériger une troisième station martienne en 2004, cette fois-ci dans
un rift volcanique. Il s’appellera Euromars et mettra l’accent sur des
expériences européennes. On pourra y étudier les formes de vie extrêmes qui
prospèrent dans les sources thermales, et explorer les glaciers et les plaines
d’inondations creusées dans le basalte images, miroir des paysages martiens
|
|
|
Avant une sortie sur le terrain, les
géologues islandais me conseillent sur les sites intéressants © C. Frankel
|
|
Ce site volcanique de
Krafla, dans le nord-est de l’Islande, rassemble une telle variété de terrains
qu’il s’impose comme un véritable banc d’essai du matériel martien. On pourra y
faire rouler des rovers, tester des foreuses pour échantillonner le sous-sol,
ainsi que des instruments géophysiques.
|
|
|
Nous avons pris rendez-vous sur le terrain
avec des géologues américains (à gauche: le spécialiste du volcanisme martien
Alfred McEwen), afin d'étudier des coulées de lave © C. Frankel
|
|
Le forage est l’un des
grands axes appelés à se développer dans l’exploration martienne. Le carottage
est déjà un élément clef de la prospection géologique (du reste, les astronautes
Apollo sur la Lune ont fait des forages et recueilli des échantillons de sol
jusqu’à trois mètres de profondeur). En outre, le forage sera également
nécessaire sur Mars pour tenter d’atteindre les nappes d’eau souterraines
(liquides ou glacées), afin d’y rechercher les traces d’une éventuelle vie
microbienne, et de se procurer des réserves d’eau pour la survie et l’industrie
de l’équipage.
|
|
|
Nous explorons le rift volcanique du Krafla
pour choisir le site de la future station scientifique "Euromars". Le
Britannique Bo Maxwell pointe vers les évents éruptifs © C.
Frankel
|
|
À bord d’Euromars, il est
également prévu de faire des séjours de longue durée. Déjà les rotations de deux
semaines ont permis aux équipages d’appréhender les problèmes de psychologie.
Les expériences plus longues seront riches d’enseignement. Lors d’une mission
martienne, les « facteurs humains » risquent en effet de peser lourd dans
l’équation du succès…
|
|
|
Canyon près du site "krafla one" © C.
Frankel
|
|
|